À la douce
mémoire de Julie

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Voici l’histoire de Julie.

Diagnostic : Alors que j’apprivoisais mon rôle de mère, c’est en allaitant mon bébé de six mois que j’ai senti une masse sous mon bras. Quelque chose qui me semblait clairement anormal. Comme j’avais rendez-vous avec notre médecin de famille pour la petite, je lui en ai glissé un mot. Après m’avoir examinée, elle a tout de suite été proactive et a demandé les examens nécessaires pour connaître la nature de la masse en m’envoyant consulter un spécialiste.

On entend souvent parler de jeunes adultes dont le cancer a été détecté tardivement en raison, entre autres, de l’idée préconçue et encore aujourd’hui véhiculée que la maladie frappe les plus âgés. Mais parce que mon médecin était proactif, il n’a fallu que quelques semaines pour que je reçoive un diagnostic de cancer du sein de stade 3 triplement négatif. J’avais 31 ans.

Traitement – Outre les effets secondaires difficiles des traitements, je me souviens des deuils et questionnements que j’avais en lien avec mon rôle de parent et l’avenir. Combien de fois j’ai pleuré. Il est difficile pour notre entourage de saisir les enjeux à la fois physiques et psychologiques de la maladie. Je me suis mise à lire sur le sujet et à m’intéresser aux blogues de femmes qui relatent leur histoire. Moi qui pensais être la seule jeune maman atteinte de cancer dans l’univers, ça m’a permis de moins me sentir isolée par ma (notre) situation exceptionnelle.

En 2012, un an et demi après la fin des traitements, j’étais invitée à assister au Breast Fest Film Festival de Rethink Breast Cancer, à Toronto. J’ai réalisé dans l’avion que j’avais une masse près de la clavicule. Ce n’était pas qu’une raideur : j’avais une impression de déjà-vu. J’ai consulté, et on m’a orientée vers le spécialiste qui effectuait déjà mon suivi. Comme j’étais informée et avisée, même si au plus profond de moi-même j’osais espérer que je me trompais sur mes appréhensions, je savais ce qu’impliquait un diagnostic de stade 4. Contrairement au premier diagnostic qui tombait de nulle part, n’ayant aucun antécédent familial ou facteur de risque évident, le diagnostic de cancer du sein métastatique, j’en connaissais l’impact. À 34 ans, on m’annonçait un cancer du sein de stade 4.

Vivre avec le cancer du sein métastatique – Au diagnostic initial, je me souviens assez clairement de la réaction de ma mère dans le bureau, celle de mon père qui gardait mon bébé à la maison, celle de mon amoureux qui s’effondre dans l’entrée à l’annonce, de ma sœur qui arrive en vitesse, des nombreux téléphones faits aux amis proches. Mais quand je pense à l’annonce du diagnostic de cancer métastatique, c’est le brouillard au loin. Je ne me souviens plus trop.

On confond souvent les termes récidive et métastatique, ce qui fait que plusieurs personnes ont cru à tort que j’avais à refaire des traitements pour passer enfin à un autre sujet. Il y a encore aujourd’hui dans mon entourage une confusion quant à la visée des traitements et aux réalités du pronostic.

Famille, amis et collègues, tous se sont ralliés pour nous offrir aide et soutien. Quand la maladie se prolonge dans le temps, la réalité est que l’élan du début s’étiole, les offres d’aide s’espacent. Chacun fait sa vie, et une sélection naturelle s’effectue. Les amitiés sincères demeurent. Avec le temps, la maladie se distancie du regard de ceux qui ne sont pas au centre de la tempête. Peut-être pensent-ils en voyant que mes cheveux ont repoussé que tout va bien et que ma vie est facile...

Les traitements me laissent fatiguée et usée, l’impression de vivre en parallèle. Même si je réussis maintenant à me projeter dans le temps, il m’est encore difficile de faire abstraction de cette ombre gigantesque qui teinte ma vie, notre vie. Peu après le pronostic, je n’étais même pas capable de prendre des engagements ou de faire de plans au-delà de trois mois : je vivais au rythme des « scans ». Bientôt, je ferai partie des 22 % de celles qui survivent au-delà de 5 ans. Malgré ça, souvent, je ne sais plus trop comment reprendre ma vie, laissée chaque fois en suspens. Cette vie, entre deux traitements, entre deux « scans », entre deux respirations.

Je ne suis pas exceptionnelle, meilleure ou plus courageuse qu’une autre face au cancer. Je suis vulnérable, sensible et entêtée, comme je l’ai toujours été. Dans l’intimité, je m’effondre, je pleure, je rage, je remets en question le sens de cette vie qui est la mienne.

Au fil du temps, je me suis créé un réseau, surtout à distance, tissant des liens avec d’autres jeunes femmes atteintes. Des amitiés sincères et lucides, mais dont le côté sombre est celui de les voir disparaître, les unes après les autres. Des quatre atteintes d’un cancer de stade 4 triplement négatif, je suis la seule encore là aujourd’hui. Positive ou non, la finalité est la même : il faut faire face à sa propre mortalité.

Partager mon histoire, c’est rendre la parole à ces femmes qui m’ont permis d’avancer, comme Anna, une amie hors du commun. Je le fais pour celles qui ne sont plus là pour témoigner, afin de leur donner une voix.

Les gens me perçoivent peut-être comme la fille qui milite en faveur de l’accès en région à une offre de services adaptée aux besoins des jeunes adultes atteints de cancer ou encore comme celle qui prône la diffusion d’information exacte et d’un portrait réel du cancer du sein de stade 4. Celles que je côtoie virtuellement reconnaissent mes sources fiables et mon indignation face aux remèdes miracles circulant sur le Web. Mais pour mes proches, j’ose espérer qu’on reconnaisse ma force de caractère, cette lucidité et intelligence face à la maladie, mon sens de l’autodérision. Les souvenirs, c’est en vivant ensemble que l’on peut les construire.

Présentement incurable, et à un taux de survie médian à 5 ans de 22 %, la maladie peut devenir métastatique, peu importe le stade auquel elle a été détectée. Les jeunes femmes ne sont pas épargnées.

Comme la maladie se prolonge dans le temps, notre réalité et nos besoins sont différents de celles qui font face à un diagnostic de cancer au stade précoce. La recherche, c’est notre seul espoir d’être encore là demain.
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